L’évaluation est traditionnellement
associée, dans l’école, à la fabrication
de hiérarchies d’excellence. Les élèves
sont comparés, puis classés, en vertu d’une norme
d’excellence, définie dans l’absolu ou
incarnée par l’enseignant et les meilleurs
élèves. Le plus souvent, ces deux
références sont mêlées, avec une
dominante : dans l’élaboration des barèmes,
alors que certains professeurs partent d’exigences
préétablies, d’autres construisent leur
barème a posteriori, en fonction de la distribution des
résultats, sans aller toutefois jusqu’à mettre
systématiquement la meilleure note possible à la
" moins mauvaise " copie.
En cours d’année scolaire, les travaux de contrôle, les épreuves de routine, les interrogations orales, la notation de travaux personnels et de dossiers fabriquent de " petites " hiérarchies d’excellence, dont aucune n’est décisive, mais dont l’accumulation et le cumul préfigurent la hiérarchie finale :
Comme les petits ruisseaux font de grandes rivières, les petites hiérarchies se combinent pour former des hiérarchies globales, dans chaque discipline scolaire, puis sur l’ensemble du programme, pour un trimestre, pour une année scolaire, pour l’ensemble d’un cycle d’études enfin. Se référant à des formes et à des normes d’excellence fort diverses, ces hiérarchies ont en commun de renseigner davantage sur la position d’un élève dans un groupe ou sur sa distance relative à la norme d’excellence que sur le contenu de ses connaissances et compétences. Elles disent surtout si l’élève est " meilleur ou pire " que ses condisciples. L’existence même d’une échelle à utiliser crée de la hiérarchie, parfois à partir de peu de choses. Amigues et Zerbato-Poudou (1996) rappellent cette expérience simple : on donne un lot de copies hétérogènes à corriger à un ensemble de professeurs, chacun établit une distribution en cloche, approximation de la fameuse courbe de Gauss. On enlève alors toutes les copies situés dans la partie médiane de la distribution et on donne les copies restantes à d’autres correcteurs. On pourrait logiquement s’attendre à une distribution bimodale. Il n’est est rien, chaque évaluateur recrée une distribution " normale ". On obtient le même résultat si l’on ne conserve que la moitié inférieure ou supérieure d’un premier lot. Les notateurs créent des écarts qui tiennent davantage à l’échelle et au principe du classement qu’aux écarts significatifs entre les connaissances ou les compétences des uns et des autres.
Une hiérarchie d’excellence n’est jamais le pur et simple reflet de la " réalité " des écarts. Ils existent bel et bien, mais l’évaluation choisit d’en donner, à un moment défini, selon des critères définis, une image publique ; les mêmes écarts peuvent être dramatisés ou banalisés selon la logique d’action à l’œuvre, car on n’évalue pas pour évaluer, mais pour fonder une décision. À l’issue de l’année scolaire ou du cycle d’études, les hiérarchies d’excellence scolaire commandent la poursuite normale du cursus ou, s’il y a sélection, l’orientation vers telle ou telle filière. Plus globalement, tout au long du cursus, elles régissent ce qu’on appelle réussite ou échec scolaires. Établie selon une échelle très différenciée &endash; au dixième de point près, parfois &endash; une hiérarchie d’excellence se transforme en effet facilement en dichotomie : il suffit d’introduire un point de coupure pour fabriquer des ensembles réputés homogènes : d’un côté, ceux qui redoublent, sont relégués dans les filières préprofessionnelles ou entrent sur le marché du travail à 15-16 ans ; de l’autre, ceux qui progressent dans le cursus et s’avancent vers les études longues.
L’autre fonction traditionnelle de l’évaluation est de certifier des acquis à l’égard de tiers. Un diplôme garantit aux employeurs potentiels que son porteur a reçu une formation, ce qui permet de l’engager sans lui faire subir de nouveaux examens. Une forme de certification analogue fonctionne aussi à l’intérieur de chaque système scolaire, d’un cycle d’études au suivant, voire entre années scolaires. C’est moins visible, car il n’existe pas l’équivalent d’un marché du travail, le marché de l’orientation reste contrôlé par le système éducatif.
Une certification n’informe guère sur le détail des savoirs et des savoir-faire acquis et sur le niveau de maîtrise précisément atteint dans chaque domaine couvert. Elle garantit surtout qu’un élève sait globalement " ce qu’il faut savoir " pour accéder au degré suivant dans le cursus, être admis dans une filière ou débuter dans un métier. Entre professeurs des degrés ou cycles d’études successifs, entre l’école et les employeurs, le niveau et le contenu des examens ou de l’évaluation, sont bien sûr, des enjeux récurrents. Toutefois, dans le cadre du fonctionnement régulier du système, " on fait comme si " ceux qui évaluent savaient ce qu’ils ont à faire et on leur accorde une certaine confiance. L’intérêt d’une certification instituée est justement de n’avoir pas à être contrôlée point par point, de servir de passeport pour l’emploi ou une formation ultérieure.
À l’intérieur du système scolaire, la certification est surtout un mode de régulation de la division verticale du travail pédagogique. Ce qu’on certifie au professeur reprenant les élèves issus du niveau ou du cycle précédent, c’est qu’il pourra travailler comme d’habitude. Ce que cela recouvre n’est pas tout à fait indépendant du programme et d’acquis minimaux. Cela peut varier beaucoup d’un établissement à l’autre, en fonction du niveau effectif des élèves et de l’attitude du corps enseignant.
Dans tous les cas, l’évaluation n’est pas une fin en soi. C’est un rouage dans le fonctionnement didactique et, plus globalement, dans la sélection et l’orientation scolaires. Elle sert à la fois à contrôler le travail des élèves et à gérer les flux.
En cours d’année scolaire, les travaux de contrôle, les épreuves de routine, les interrogations orales, la notation de travaux personnels et de dossiers fabriquent de " petites " hiérarchies d’excellence, dont aucune n’est décisive, mais dont l’accumulation et le cumul préfigurent la hiérarchie finale :
- soit parce qu’elle se fonde largement sur les résultats obtenus en cours d’année, lorsque l’évaluation continue n’est pas redoublée par des épreuves standardisées ou des examens ;
- soit parce que l’évaluation en cours d’année fonctionne comme un entraînement à l’examen (Merle, 1996).
Comme les petits ruisseaux font de grandes rivières, les petites hiérarchies se combinent pour former des hiérarchies globales, dans chaque discipline scolaire, puis sur l’ensemble du programme, pour un trimestre, pour une année scolaire, pour l’ensemble d’un cycle d’études enfin. Se référant à des formes et à des normes d’excellence fort diverses, ces hiérarchies ont en commun de renseigner davantage sur la position d’un élève dans un groupe ou sur sa distance relative à la norme d’excellence que sur le contenu de ses connaissances et compétences. Elles disent surtout si l’élève est " meilleur ou pire " que ses condisciples. L’existence même d’une échelle à utiliser crée de la hiérarchie, parfois à partir de peu de choses. Amigues et Zerbato-Poudou (1996) rappellent cette expérience simple : on donne un lot de copies hétérogènes à corriger à un ensemble de professeurs, chacun établit une distribution en cloche, approximation de la fameuse courbe de Gauss. On enlève alors toutes les copies situés dans la partie médiane de la distribution et on donne les copies restantes à d’autres correcteurs. On pourrait logiquement s’attendre à une distribution bimodale. Il n’est est rien, chaque évaluateur recrée une distribution " normale ". On obtient le même résultat si l’on ne conserve que la moitié inférieure ou supérieure d’un premier lot. Les notateurs créent des écarts qui tiennent davantage à l’échelle et au principe du classement qu’aux écarts significatifs entre les connaissances ou les compétences des uns et des autres.
Une hiérarchie d’excellence n’est jamais le pur et simple reflet de la " réalité " des écarts. Ils existent bel et bien, mais l’évaluation choisit d’en donner, à un moment défini, selon des critères définis, une image publique ; les mêmes écarts peuvent être dramatisés ou banalisés selon la logique d’action à l’œuvre, car on n’évalue pas pour évaluer, mais pour fonder une décision. À l’issue de l’année scolaire ou du cycle d’études, les hiérarchies d’excellence scolaire commandent la poursuite normale du cursus ou, s’il y a sélection, l’orientation vers telle ou telle filière. Plus globalement, tout au long du cursus, elles régissent ce qu’on appelle réussite ou échec scolaires. Établie selon une échelle très différenciée &endash; au dixième de point près, parfois &endash; une hiérarchie d’excellence se transforme en effet facilement en dichotomie : il suffit d’introduire un point de coupure pour fabriquer des ensembles réputés homogènes : d’un côté, ceux qui redoublent, sont relégués dans les filières préprofessionnelles ou entrent sur le marché du travail à 15-16 ans ; de l’autre, ceux qui progressent dans le cursus et s’avancent vers les études longues.
L’autre fonction traditionnelle de l’évaluation est de certifier des acquis à l’égard de tiers. Un diplôme garantit aux employeurs potentiels que son porteur a reçu une formation, ce qui permet de l’engager sans lui faire subir de nouveaux examens. Une forme de certification analogue fonctionne aussi à l’intérieur de chaque système scolaire, d’un cycle d’études au suivant, voire entre années scolaires. C’est moins visible, car il n’existe pas l’équivalent d’un marché du travail, le marché de l’orientation reste contrôlé par le système éducatif.
Une certification n’informe guère sur le détail des savoirs et des savoir-faire acquis et sur le niveau de maîtrise précisément atteint dans chaque domaine couvert. Elle garantit surtout qu’un élève sait globalement " ce qu’il faut savoir " pour accéder au degré suivant dans le cursus, être admis dans une filière ou débuter dans un métier. Entre professeurs des degrés ou cycles d’études successifs, entre l’école et les employeurs, le niveau et le contenu des examens ou de l’évaluation, sont bien sûr, des enjeux récurrents. Toutefois, dans le cadre du fonctionnement régulier du système, " on fait comme si " ceux qui évaluent savaient ce qu’ils ont à faire et on leur accorde une certaine confiance. L’intérêt d’une certification instituée est justement de n’avoir pas à être contrôlée point par point, de servir de passeport pour l’emploi ou une formation ultérieure.
À l’intérieur du système scolaire, la certification est surtout un mode de régulation de la division verticale du travail pédagogique. Ce qu’on certifie au professeur reprenant les élèves issus du niveau ou du cycle précédent, c’est qu’il pourra travailler comme d’habitude. Ce que cela recouvre n’est pas tout à fait indépendant du programme et d’acquis minimaux. Cela peut varier beaucoup d’un établissement à l’autre, en fonction du niveau effectif des élèves et de l’attitude du corps enseignant.
Dans tous les cas, l’évaluation n’est pas une fin en soi. C’est un rouage dans le fonctionnement didactique et, plus globalement, dans la sélection et l’orientation scolaires. Elle sert à la fois à contrôler le travail des élèves et à gérer les flux.
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