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lundi 25 août 2014

Ce qui se joue aujourd’hui…

Les recherches et les expériences se multiplient. L’évaluation formative est l’un des chevaux de bataille de l’Association européenne pour le développement des méthodologies d’évaluation en éducation (ADMEE) et de sa grande sœur québécoise. Elle est au cœur des tentatives de pédagogie différenciée et d’individualisation des parcours de formation. On se préoccupe un peu plus d’évaluation à propos des rénovations de programmes et dans le cadre des didactiques des disciplines. La formation continue se développe, la formation initiale s’étoffe lentement. Cette évolution pourrait entretenir l’illusion que l’école est acquise à l’idée d’une évaluation formative et qu’on y marche à grands pas. La réalité est plus nuancée. Dans les classes, les pratiques d’évaluation évoluent globalement vers moins de sévérité. Sont-elles plus formatives ? On peut en douter. On développe le soutien pédagogique externe, on travaille davantage par petits groupes. Est-ce une pédagogie différenciée digne de ce nom ? Ce n’est qu’une amorce !
Il y a, dans les systèmes éducatifs, un décalage important entre le discours moderniste, teinté de sciences de l’éducation et de pédagogies nouvelles, et les préoccupations prioritaires de la majorité des enseignants et des responsables scolaires. Rares sont ceux qui s’opposent résolument et ouvertement à une pédagogie différenciée ou à une évaluation formative. Il n’y adhèrent toutefois qu’à condition qu’elles soient données " par-dessus le marché ", sans compromettre aucune des fonctions traditionnelles de l’évaluation, sans toucher à la structure scolaire, sans bouleverser les habitudes des parents, sans exiger de nouvelles qualifications des enseignants. Or, si l’évaluation formative n’exige, en elle-même, aucune révolution, elle ne peut se développer pleinement que dans le cadre d’une pédagogie différenciée, fondée sur une politique persévérante de démocratisation de l’enseignement.
Un jour ou l’autre, les systèmes éducatifs seront au pied du mur : ou ils persisteront à s’accrocher au passé en tenant un discours d’avant-garde ; ou ils franchiront le pas et s’orienteront vers un avenir où importeront moins les hiérarchies d’excellence que les compétences réelles du plus grand nombre.
Nous vivons une période de transition. Longtemps, les sociétés européennes ont pensé n’avoir pas besoin de trop de gens instruits et se sont servies de la sélection, donc de l’évaluation, pour exclure le plus grand nombre des études longues. Au début du siècle, 4 % des adolescents français fréquentaient les lycées et pouvaient prétendre atteindre le baccalauréat. La France entend désormais former 80 % des jeunes au niveau du bac, sans abaisser le niveau de formation. Ce n’est plus une utopie, ni une idée de gauche. Toutefois, la crise des valeurs et des moyens, la défense des privilèges, la rigidité de l’institution scolaire autorisent à douter d’une progression continue vers la pédagogie différenciée. Certes, la démocratisation de l’enseignement, au sens large, a progressé de façon spectaculaire, si on en juge par les taux de scolarisation à 18 ou 20 ans, ou par la longueur moyenne des études. Entre les filles et les garçons, les chances de réussite et d’accès aux études longues se sont fortement rapprochées. En revanche, l’écart entre les classes sociales se maintient et tend même à s’aggraver entre les couches les moins favorisées et les classes moyennes et supérieures, principales bénéficiaires de l’explosion scolaire (Hutmacher, 1993). À l’échelle de la planète, le développement de la scolarisation marque le pas et les inégalités restent criantes.
Il serait donc hasardeux d’annoncer des lendemains qui chantent. Entre les besoins de formation, inépuisables, et les politiques de l’éducation, il n’y a pas toujours cohérence. Delors (1996) et sa commission l’affirment " L’éducation, un trésor est caché dedans ". Nul n’aura l’audace de les contredire ouvertement. Les gouvernements et les gens d’école restent cependant, assez souvent, paralysés par la crise économique, la fragilité des majorités au pouvoir, les contradictions internes des bureaucraties scolaires, les conservatismes de tous genres et tout ce qui maintient une distance entre les idéaux affirmés et la réalité des systèmes éducatifs.
Que l’évaluation soit encore entre deux logiques déçoit ou scandalise ceux qui luttent contre l’échec scolaire et rêvent d’une évaluation purement formative. Avec un peu de recul historique, on peut soutenir que l’existence même d’une nouvelle logique, plus formative, est une extraordinaire conquête. Presque tous les systèmes éducatifs modernes déclarent aller vers une évaluation moins sélective, moins précoce, plus formative, plus intégrée à l’action pédagogique quotidienne. On peut les juger sur l’écart entre ces intentions et la réalité des pratiques. On peut aussi souligner que de telles intentions sont récentes, qu’elles datent au mieux des années 1970-80. La période de transition est donc à peine entamée.
Incontestablement, la logique formative a pris de l’importance. On dénonce volontiers les limites que lui imposent les logiques de sélection. On oublie que ces dernières ont régné, sans partage, durant des décennies. La démocratisation de l’enseignement et la recherche d’une pédagogie plus différenciée ont fait émerger, puis s’étendre, la logique formative, si bien qu’aujourd’hui, les forces et la légitimité de l’une et de l’autre sont plus équilibrées. De quel côté l’avenir fera-t-il pencher la balance ? Nul ne le sait. Il n’est pas temps de conclure, seulement de travailler à faire coexister et s’articuler deux logiques d’évaluation.
L’enjeu n’est pas seulement de retarder et d’adoucir la sélection. L’évaluation traditionnelle, non contente de fabriquer de l’échec, appauvrit les apprentissages et induit des didactiques conservatrices chez les enseignants, des stratégies utilitaristes chez les élèves. L’évaluation formative participe du renouveau global de la pédagogie, de la centration sur l’apprenant, de la mutation du métier d’enseignant : jadis dispensateur de cours et de leçons, le professeur devient le créateur de situations d’apprentissage " porteuses de sens et de régulation ". Les résistances ne touchent donc pas uniquement à la sauvegarde des élites. Elle se situent de plus en plus dans le registre des pratiques pédagogiques, du métier d’enseignant et du métier d’élève !

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